Souvent lors de discussion informelle, on me demande : « mais comment attribuait-on les noms et les prénoms aux enfants abandonnés au XIXe siècle ? ».
Il est vrai que cette question suscite de la curiosité.
J’ai donc étudié, à travers les actes de naissance de l’année 1812, trois communes du Nord et du Pas-de-Calais, les enfants trouvés, déposés ou abandonnés. Ces trois villes sont Dunkerque, Saint-Omer et Valenciennes.
Pourquoi 1812 ? Cette date a été choisie de manière arbitraire mais pas seulement. Nous sommes à la fin de la 1ère république. L’année 1812 connu des premiers mois difficiles à cause de la cherté du grain mais une bonne récolte en été qui a mis fin à la crise agricole. Tous les enfants sont censés être enregistrés. Et nous en avons fini avec le calendrier révolutionnaire et les prénoms tout aussi révolutionnaires.
Pourquoi Dunkerque, Saint-Omer et Valenciennes ? Je voulais d’abord avoir un échantillon par trop grand et surtout avoir 3 villes bien distinctes : Dunkerque est une ville portuaire, Valenciennes : une ville industrielle avec la filature et Saint-Omer est plutôt une ville bourgeoise, peu impactée par l’industrialisation.
Les enfants abandonnés ?
Le tour
Ces trois villes, sont toutes trois confrontées à la présence d’enfants abandonnés. Ces enfants sont, dans la majorité des cas, déposés au tour de l’hospice de la ville. Un tour d’abandon est un lieu où les mères peuvent laisser de manière anonyme leurs bébés. Les tours d’abandon sont généralement situés dans des hospices. Ce tour consiste en une boite tournante dans le mur de l’hospice dans lequel la mère dépose le bébé. Elle fait tourner la boite et sonne une cloche pour avertir le personnel de l’établissement. Ce procédé est connu depuis le Moyen-âge et ce dans toute l’Europe.
Le nombre d’enfants abandonnés
Selon les villes, le nombre d’enfants abandonnés est très variable. Un rapide comptage de ces enfants par rapport au nombre total des naissances de l’année, m’a donné un taux extrêmement différent d’une ville à l’autre.
En effet, Saint-Omer ville bourgeoise a environ 7,5 % des actes de naissances qui concerne des enfants trouvés. Valenciennes, ville industrielle a près de 20 % des actes ce qui est beaucoup à mes yeux, 1 enfant sur 5 est un enfant trouvé. Mais Dunkerque a un taux effarant : près de 40 % des actes de naissance concernent des enfants trouvés, près d’un sur 2. Comment expliquer un tel chiffre. Il est vrai que Dunkerque, ville portuaire, connait un brassage de population. Il est plus aisé de quitter sa famille pour venir accoucher dans l’anonymat d’une ville évitant l’opprobre de sa famille ou de son village. Une étude sociologique de l’origine des enfants abandonnée pourra être réalisé plus tard mais ici ce n’est pas le sujet qui nous importe.
Quels patronymes pour ses enfants ?
En étudiant ces actes de naissances, on s’aperçoit qu’il y a plusieurs manières d’attribuées un patronyme a un enfant déposé. Les autorités des trois villes choisies pour notre mini étude ont également optés pour différentes façons pour nommer ces enfants et elles s’y sont tenues.
Les enfants porteurs d’un billet
Les actes de naissance des enfants déposés au tour ou trouvés outre l’enregistrement de cette naissance, détaillent les circonstances de sa découverte :
l’âge approximatif de l’enfant : nouveau-né, 4 jours, 15 jours, 6 mois, 3 ans…
son état de santé apparent
comment l’enfant est habillé, avec force détail et description
s’il est porteur d’un billet, sur lequel il est indiqué comment l’enfant s’appelle, ou comment la mère aimerait le prénommer ou même comment elle aimerait le nommer avec des explications. (voir document à gauche).
« on prie que la porteuse soit appelée L’étoile étant arrivé aux monde le jourd’hui assisté de la lumière des étoiles. »
Les enfants nommés du nom du saint du jour
Dans notre petit corpus, les enfants déposés à St Omer lorsqu’il ne possédait pas de billet (la mère ne savait peut-être pas écrire), les autorités donnaient à l’enfant comme patronyme le nom du saint du jour. Mon ancêtre Jules CALIXTE, déposé au tour de la ville de Saint-Omer le 18 octobre 1812 a été estimé être âgé de 4 jours. Le 14 octobre était la Saint Calixte.
Les enfants qui n’ont que des prénoms
A Dunkerque, est-ce parce que le nombre d’enfants abandonnés est extrêmement important, mais les acteurs de l’état-civil donnent rarement de patronyme aux enfants.
Ceux-ci sont enregistrés avec deux prénoms. Sur les billets trouvés sur les enfants, il n’est pas rare que celui comporte non seulement le prénom de l’enfant mais également son nom de famille. La mère étant surement originaire d’une autre paroisse et ne risque pas d’être inquiétée.
Ces enfants, au jour de leur mariage, sont-ils enregistrés sous le premier prénom qui devient son nom de famille ? Une investigation plus poussée dans ce sens devra être réalisée.
Cela me rappelle, un dossier de recherche, dont le patronyme de l’individu à rechercher était un prénom. Il avait donc trois prénoms : ARMAND Sébastien Désiré son patronyme étant ARMAND. Cet enfant a même été abandonné deux fois, une fois à la naissance et une fois à six mois par sa nourrice. Il y en a qui n’ont vraiment pas de chance. Or stupéfaction, impossible de le retrouver à l’âge adulte alors que l’on sait pertinemment qu’il est décédé âgé. Et bien oui, avec trois prénoms, arriva ce qui devait arrivé, les prénoms ont été intervertis et l’on retrouve notre personnage dans les registres de matricules militaires, notamment, sous SEBASTIEN Armand Désiré. On peut chercher longtemps !
Les enfants qui ont un nom de famille donné de manière arbitraire et des prénoms
A Valenciennes, chaque enfant trouvés reçoit un nom de famille et deux prénoms.
Évidemment, nous trouvons de nombreuses Marie, et de nombreux Joseph.
Trois villes, trois modes différents d’attribution des noms. Qu’en est-il dans les autres villes et dans les autres régions ?